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(01/08/08) : Jean-Michel De Waele, Professor at Brussels free university (ULB): Communism in Europe was ‘doomed’ after Prague Spring crackdown

The crackdown on the Prague Spring by the Warsaw Pact tanks on 21 August 1968 marked the beginning of the end for Soviet-type regimes, but the importance of this event is nowadays neglected. Jean-Michel De Waele, political science Professor at Brussels free university (ULB), reflects on those historic days in an interview with EurActiv.




Jean-Michel de Waele is also Director of the Centre for political life studies CEVIPOL. His main research interests are related to the countries in South Eastern Europe.

The following transcript is in French only. To read a shortened version of this interview in English, please click here.

Ce 21 août le monde marquera le 40-ème anniversaire de l’écrasement du Printemps de Prague par les tanks du Pacte de Varsovie. Quelle est l’importance historique de cet évènement ?

C’est un évènement marquant de l’histoire de l’Europe parce que 1968 en Tchécoslovaquie a été la dernière tentative réelle de réforme du système de type Soviétique à l’est de l’Europe, et l’échec de ces réformes par l’intervention des troupes du Pacte de Varsovie va démontrer que ce système est non réformable. Donc tout système qui ne se réforme pas est voué à la disparition, et on peut vraiment dire que le Printemps de Prague est le début de la fin des régimes de type Soviétique. Le deuxième élément d’importance, c’est aussi que cette tentative de réforme venait des communistes eux-mêmes. Cela montre qu’il y avait eu toute une série de dirigeants qui avaient tenté de réformer le système et qui avaient chaque fois échoué d’une manière ou d’une autre. C’est la tentative la plus spectaculaire des communistes Tchèques et Slovaques de se réformer avec l’appui de la population. L’Union Soviétique montre qu’elle est incapable d’accepter des évolutions et dès lors va mener ces pays à la crise quelques années après.

En 1956 c’était les évènements de Budapest, en mai 1968 c’était Prague, en mai 1981 c’était la Pologne… Pourtant vous ne mettez pas la Pologne dans la même catégorie, pourquoi ?

Parce que Solidarnosc était un mouvement qui était contre le système, alors qu’il essayait de négocier avec le système. Tandis que 1968, c’était une volonté de réforme du système à l’intérieur même du système. Donc pour moi, il est bien entendu que 1981 est aussi une contestation du régime, mais c’est aussi une protestation de nature tout à fait différente. En 1981 il n’y a plus personne qui croit que le régime peut véritablement se réformer. En 1968, il y a le rêve du socialisme à visage humain qui reste encore bien présent, aussi je pense que c’est important en 1968 pour le mouvement communiste Européen, ça va donner lieu à l’Eurocommunisme et à une prise de conscience par toute une série de communistes ou de mouvements Marxistes, que la démocratie ne fera jamais bon ménage avec le régime de type Soviétique.

De nos jours dans l’imagerie populaire on attache beaucoup d’importance à la Pologne, à Solidarnosc , au pape Jean Paul II, a Lech Valesa, mais beaucoup moins au Printemps de Prague. Est-ce que cela correspond à la vraie importance de ces évènements ?

Il est toujours très difficile de mettre dans le plateau d’une balance les évènements. Et les derniers évènements semblent toujours les plus importants. Il y a aussi le fait que les gouvernements Polonais ont donné à Solidarnoœæ un lustre et une importance particulière, et c’est devenu une partie de l’histoire de la Pologne reprise et défendue par les gouvernements polonais, ce que le gouvernement Tchèque fait nettement moins pour le Printemps de Prague. Il y a aussi que le fait que le recul des idéaux du socialisme démocratique partout en Europe explique aussi, évidemment, qu’on parle moins du Printemps de Prague que de Solidarnosc, je pense que ça c’est lié aux vents idéologiques qui soufflent.

A l’heure actuelle, l’idée d’un socialisme à visage humain est évidemment quelque chose qui n’est pas très à la mode. Et pourtant je reste quant à moi persuadé que le Printemps de Prague a joué un rôle absolument fondamental, à la fois parce qu’il a fait comprendre aux élites politiques de l’Europe Centrale, ce qu’il a fait comprendre dans les partis communistes et ce qu’il a fait comprendre aux occidentaux – l’impossibilité de reformer le système. Je pense que les dissidents de Solidarnoœæ ont tiré les leçons de l’échec du Printemps de Prague. Je pense que Bronislav Geremek pourrait, s’il était encore parmi nous, expliquer combien le Printemps de Prague, combien cet échec a pu pendant les années suivantes marquer les consciences, par exemple en Pologne.

On pense aussi à Mai 1968 en France, c’est sans doute très différent mais peut-être y a-t-il aussi des similitudes ?

Il y a évidemment cette espèce de volonté, ce grand souffle de démocratie qui souffle partout, mais 1968 est également une année importante aux Etats-Unis, au Mexique… L’année 1968 a vu un nombre d’évènements marquants dans toute l’Europe effectivement, à part que les étudiants Maoïstes de 1968 n’avaient sans doute pas tellement de sympathie pour les réformateurs du Printemps de Prague. Mais il ne faut pas oublier que mai ‘68 est en France et en Europe Occidentale un mouvement social de libération des mœurs, de libération sexuelle, de démocratisation de la société qui se modernise. C’est une grande remise en cause de l’ordre établi. Au Printemps de Prague, il y a aussi cette remise en cause de l’ordre établi mais c’est vraiment la seule comparaison que l’on puisse faire.

L’Occident n’a pas fait grand chose pour aider les mouvements contestataires. C’est vrai qu’il y avait la menace nucléaire en même temps, qu’il y avait Radio Free Europe qui émettait pour l’Europe de l’Est de Munich, mais c’était sans doute bien peu. Etait-on incapables en Occident d’imaginer que les choses allaient se dérouler aussi vite ?

Non, bien entendu, je pense que tous les Occidentaux, les Américains y compris, ont toujours pendant la Guerre Froide à la fois aidé les dissidents, les contestataires de protester, de maintenir le climat de Guerre Froide, de lutter contre l’ennemi, et de stabiliser les régimes. Ce que tout le monde craignait c’était une instabilité qui aurait pu mener à un bain de sang ou à un raidissement ou à un conflit nucléaire.

Donc les Occidentaux ont toujours été ambigus, et tous les Occidentaux, car à l’heure actuelle on nous présente une histoire selon laquelle les Européens se seraient aplati devant les régimes de type Soviétique alors que les Américains auraient été les héros de la résistance et de la liberté, ce qui est un grand contre-sens historique. Mais toujours est-il que tous les Occidentaux étaient pris entre ce sentiment de vouloir éviter la déstabilisation, craignant le chaos et le conflit nucléaire, et d’autre part l’aide aux dissidents.

Mais je pense aussi de nouveau que 1968 a permis aux Occidentaux de comprendre que la réforme ne viendrait pas de l’intérieur, que nous n’aurions pas un régime de type Soviétique avec lequel nous allions pouvoir travailler, qui se démocratiserait et qui rejoindrait petit à petit la démocratie. Les leaders occidentaux ont bien compris la glaciation qui était en train de s’installer à l’est.

Prague en 1968, c’est aussi le signe que les choses s’arrêtent de bouger, alors les sociétés civiles ont toujours bougé en Europe centrale, les théories totalitaires ont bien montré en 1989 leurs faiblesses épistémologiques. L’idéal de construire un monde meilleur, cette force qui a réuni autour d’elle des millions de citoyens européens, a montré en 1968 tout son épuisement.

Quand vous dites que les Etats-Unis ont essayé de se montrer en héros de la démocratie, on a du mal à le croire, surtout quand on pense à la visite du Président Nixon en Roumanie en 1969... Aujourd’hui on sait que le régime du dictateur roumain Ceausescu était le pire de tous, mais il était le préféré de l’Occident à l’époque, parce que la Roumanie, justement, n’a pas envoyé ses troupes à Prague…

Evidemment, les Américains ont fait autant, ou voire plus de compromis avec le leadership des pays de l’est que les Européens. C'est-à-dire que les Américains faisaient à la fois des compromis, ce voyage que beaucoup de leaders occidentaux ont aussi fait à Bucarest pour soutenir quelqu’un qui apparaissait comme anti-Soviétique mais qui violait en fait encore bien plus les Droits de l’Homme et les droits les plus élémentaires de la population que les autres régimes des pays de l’Est.

Mais les Américains ont aussi tout de même vendu du blé aux pays de l’Est où l’on fait un commerce extrêmement profitable et ont partagé le monde avec la puissance Soviétique. Si les Américains avaient été les héros de la défense des Droits de l’Homme, alors il faut aussi parler de l’Indonésie, du Chili, de l’Afrique du Sud. La question des Droits de l’Homme ne se pose tout de même pas qu’en Union Soviétique. On dirait avec les Jeux Olympiques de Pékin que les Occidentaux sont décidemment très aveugles sur la question des Droits de l’Homme. Selon que vous soyez riche ou pas, les Occidentaux sont plus ou moins exigeants dans les Droits de l’Homme, c’est de nouveau dans l’actualité de ces jours-ci.

Un autre paradoxe quand on pense à août 1968, c’est que la Yougoslavie apparaissait très différente de ce qu’elle est aujourd’hui, c’était un pays indépendant de Moscou et la radio de Belgrade appelait les troupes du Pacte de Varsovie des occupants…

Oui, on a là un retournement spectaculaire, les jeunes générations ont du mal à admettre derrière le mot ‘Yougoslave’ quelque chose de positif. Or il faut tout de même rappeler que malgré de réelles violations des Droits de l’Homme, la Yougoslavie est un pays qui a connu un niveau de vie et une augmentation de son niveau de vie tout à fait importante sous le régime de Tito qui a joué un rôle extrêmement important au niveau international. Les personnes pouvaient rentrer et sortir de ce pays, le pays était nettement plus ouvert que tous les autres, il ne s’alignait pas sur Moscou ni sur Washington et la cohabitation ethnique a fort bien fonctionné pendant des années - les Serbes allaient vivre en Croatie, les Croates allaient vivre au Montenegro sans gros problèmes.

Il faut bien sûr rappeler qu’en 1989, quand le système s’effondre, s’il y a un pays qui semble pour les intellectuels et pour les observateurs devoir rejoindre le plus rapidement et le plus facilement possible l’Union Européenne, c’est la Yougoslavie, parce qu’elle a déjà une économie quasi de marché et parce que ce pays semble le plus ouvert au monde. Donc en 1990 on peut croire qu’avant le déclenchement de l’effondrement de la Yougoslavie que ce pays pourrait rejoindre l’Union Européenne plus rapidement que les autres. Donc là aussi il faut se réinscrire dans une histoire telle qu’elle s’est déroulée et non pas dans l’histoire dont on connaît déjà la fin.

Les pièces du grand dramaturge tchèque Vaclav Havel ont été jouées à Belgrade et le théâtre envoyait clandestinement de l’argent à sa famille, pendant que Vaclav Havel était en prison en Tchécoslovaquie. Et les Serbes ont du mal a pardonner au président Tchèque Vaclav Havel d’avoir participe au bombardement de leur pays en 1999. Mais aujourd’hui, on ne parle pas beaucoup de l’histoire récente à l’école et à la télé, en tout cas, one ne voir pas grand-chose…

Comme toujours, dans toutes les sociétés on réécrit une histoire, pour essayer de justifier les choses et les mauvais d’aujourd’hui, il faut montrer qu’hier et avant-hier ils étaient aussi mauvais… Donc on est en train de réécrire une histoire, que ce soit l’histoire de la résistance au communisme où des peuples de l’Est auraient résisté pendant 40-45 ans à peu près tous les jours. Si vous allez en Roumanie, vous avez l’impression que le peuple roumain a résisté a peu près tous les jours et qu’il n’y avait pas de membre du parti communiste roumain tellement chaque roumain peut raconter qu’il résistait tout seul.

On réécrit l’Histoire dans chacun des états, aussi bien entendu en Europe occidentale. Mais sur ce qui s’est déroulé à l’Est, on a vraiment une réécriture de l’Histoire en Pologne, en Roumanie, dans les pays occidentaux et aux Etats-Unis.

Et je pense qu’il y a une vraie difficulté à admettre que les pays de l’Union Européenne n’ont pas la même histoire. Je ne pense pas que nous allons pouvoir construire une Europe en essayant de créer une sorte d’histoire qui serait le plus petit commun dénominateur, rédigée par une série d’historiens qui gommeraient toutes les choses gênantes dans chacune des histoires nationales. Je pense que chaque peuple - que ce soient les Français, dans la guerre d’Algérie ou à Madagascar, les Belges au Congo, les Roumains par rapport à Ceausescu, ou les Hongrois par rapport aux Slovaques -, que chaque peuple doit pouvoir regarder les heures splendides et les heures sombres de son histoire, et ne pas essayer d’instrumentaliser l’Histoire ou d’en réécrire une autre.

Et ce n’est que dans ces différences historiques que nous pourrons construire l’Europe. Nous avons des histoires différentes et cela pose évidemment des problèmes. L’exemple marquant c’est le 9 mai 1945 : Pour les Occidentaux c’est la victoire finale de la Seconde Guerre Mondiale, parce que l’Union Soviétique signe le Traité de paix. Et nous pouvons imaginer aller à Moscou le 9 mai 2005 pour fêter la fin de la 2ème Guerre Mondiale. Mais on peut aussi tout à fait comprendre que pour les Lettons et pour les Estoniens, le 9 mai 1945 ne soit absolument pas une fête mais le début d’une nouvelle déportation de plus d’une partie de la population en Sibérie. Donc, même les dates font problème. Plutôt que d’essayer de réécrire une histoire européenne, je pense qu’il faut regarder la réalité en face.

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